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théorie transcendantale des éléments

rapports [1], je l’appelle la forme du phénomène. Et comme ce en quoi les sensations peuvent seulement se coordonner et être ramenées à une certaine forme ne peut pas être encore sensation, il s’ensuit que, si la matière de tout phénomène ne nous est donnée, il est vrai, qu’a posteriori, il faut que sa forme se trouve a priori dans l’esprit (im Gemüthe) toute prête à s’appliquer à tous, il faut, par conséquent, qu’elle puisse être considérée indépendamment de toute sensation.

J’appelle pures (au sens transcendantal) toutes les représentations dans lesquelles ne se rencontre rien de ce qui appartient à la sensation. Par suite, la forme pure des intuitions sensibles en général se trouvera a priori dans l’esprit dans lequel tout le divers des phénomènes est intuitionné sous certains rapports. Cette forme pure de la sensibilité peut encore s’appeler intuition pure. Ainsi, quand je détache de la représentation d’un corps ce qui en est pensé par l’entendement, comme la substance, la force, la divisibilité, etc., et aussi ce qui appartient à la sensation, comme l’impénétrabilité, la dureté, la couleur, etc., il me reste encore pourtant quelque chose de cette intuition empirique : l’étendue et la figure. Celles-ci appartiennent à l’intuition pure qui réside a priori dans l’esprit (im Gemüthe), même indépendamment d’un objet réel des sens ou de toute sensation, en qualité de simple forme de la sensibilité.

J’appelle Esthétique* transcendantale la science de tous

  1. 2e édition. « …des phénomènes peut être ordonné suivant certains rapports », etc.

*. Les Allemands sont les seuls qui se servent du mot Esthétique pour désigner ce que d’autres appellent critique du goût. Cette dénomination a pour fondement une espérance déçue qu’eut l’excellent analyste Baumgarten de soumettre le jugement critique du beau à des principes rationnels et d’y élever les règles à la dignité d’une science. Mais cet effort est vain. Ces règles ou critères, en effet, quant à leurs [principales] sources, sont simplement empiriques et ne peuvent jamais, par conséquent, servir de lois a priori [déterminées] sur lesquelles devrait se régler notre jugement esthétique, c’est plutôt ce dernier qui constitue la vraie pierre de touche de l’exactitude dos règles. C’est pourquoi il est convenable [ou] de renoncer à cette dénomination et de la réserver à la doctrine que nous exposons et qui est une vraie science (et, ce faisant, on se rapprocherait du langage et de l’idée des anciens, chez lesquels la division de la connaissance en αἰσθητὰ καὶ νοητά fut très célèbre[1]) [ou de partager le sens de cette dénomination avec la philosophie spéculative et de donner à l’Esthétique tantôt un sens transcendantal et tantôt un sens psychologique].

  1. Les parenthèses n’ont été mises que dans la 2e édition.