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critique de la raison pure

l’on pourrait y faire. Au contraire, parce que l’École, ainsi que tout homme qui s’élève à la spéculation, tombe inévitablement dans ces deux défauts, la Critique est obligée de prévenir une fois pour toutes, par l’examen approfondi des droits de la raison spéculative, le scandale que doivent causer tôt ou tard, même pour le peuple, les disputes où s’engagent inévitablement les métaphysiciens (et, en tant que tels, enfin, beaucoup de théologiens) sans critique et qui finissent par fausser leurs doctrines. La critique peut seule couper dans leurs racines le matérialisme, le fatalisme, l’athéisme, l’incrédulité des libres penseurs (freigeisterischen), le fanatisme, la superstition, fléaux qui peuvent devenir nuisibles à tout le monde, enfin l’idéalisme et le scepticisme qui sont dangereux plutôt pour les écoles et ne peuvent que difficilement passer dans le public. Si les gouvernements trouvent bon de se mêler des affaires des savants, il serait plus conforme à leur sage souci pour les sciences aussi bien que pour les hommes de favoriser la liberté d’une telle critique qui seule est capable d’établir sur une base solide les travaux de la raison, que de soutenir le ridicule despotisme des écoles qui jettent les hauts cris sur un danger public quand on déchire leurs toiles d’araignées dont le public n’a jamais eu connaissance et dont par conséquent il ne peut pas sentir la perte.

La Critique n’est pas opposée à un procédé dogmatique de la raison dans sa connaissance pure en tant que science (car la science doit toujours être dogmatique, c’est-à-dire strictement démonstrative, en s’appuyant sur de sûrs principes a priori), mais elle est opposée au dogmatisme, c’est-à-dire à la prétention d’aller de l’avant avec une connaissance pure (la connaissance philosophique) tirée de concepts d’après des principes tels que ceux dont la raison fait usage depuis longtemps sans se demander comment ni de quel droit elle y est arrivée. Le dogmatisme est donc la marche dogmatique, que suit la raison pure sans avoir fait une critique préalable de son pouvoir propre. Cette opposition de la Critique au dogmatisme ne doit pas consister, par suite, à plaider la cause de cette stérilité verbeuse qui prend mal à propos le nom de popularité, ni encore moins celle du scepticisme qui fait prompte justice de toute la métaphysique ; la Critique est plutôt la préparation nécessaire au développement d’une