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dans l’économie des principes, n’est soumis en lui-même à aucune contradiction, et il est même avantageux, au point de vue de l’extension de l’usage de la raison au milieu de l’expérience, parce qu’une pareille idée nous dirige vers l’ordre et la finalité, sans jamais être ouvertement contraire à une expérience.

Cet argument mérite toujours d’être rappelé avec respect. Il est le plus ancien, le plus clair et le plus conforme à la raison commune. Il vivifie l’étude de la nature en même temps qu’il en tire son existence et en reçoit toujours de nouvelles forces. Il conduit à des fins et à des desseins que notre réflexion n’aurait pas pu découvrir d’elle-même et il étend nos connaissances de la nature par le fil conducteur d’une unité particulière dont le principe est en dehors de la nature. Mais ces connaissances influent à leur tour sur leur cause, c’est-à-dire sur l’idée qui leur a donné lieu, et fortifient notre croyance en un auteur suprême jusqu’à en faire une conviction irrésistible.

Ce serait donc non seulement nous priver d’une consolation, mais encore tenter l’impossible que de vouloir enlever quelque chose à l’autorité de cette preuve. La raison, sans cesse élevée par des arguments si puissants et qui vont toujours se multipliant sous sa main, bien qu’ils ne soient qu’empiriques, ne peut être tellement abaissée par le doute d’une spéculation subtile et abstraite qu’elle ne doive être arrachée, comme à un songe, à toute indécision sophistique, par un regard jeté sur les merveilles de la nature et sur la structure majestueuse du monde, pour s’élancer, de grandeur en grandeur, jusqu’à la grandeur la plus haute de toutes, et, de conditions en conditions, jusqu’à l’auteur suprême et inconditionné.

Bien que nous n’ayons rien à objecter contre ce qu’il y a de raisonnable et d’utile dans ce procédé, mais que nous ayons au contraire plutôt à cœur de le recommander et de l’encourager, nous ne pouvons cependant approuver, pour ce motif, les prétentions qu’élèverait cet argument à une certitude apodictique et à une adhésion qui n’aurait plus besoin ni d’aucune faveur, ni d’aucun appui étranger : on ne saurait nuire à la bonne cause en rappelant le langage dogmatique d’un disputeur tranchant au ton de modération et de modestie convenables à une foi qui est suffisante pour le repos, mais qui