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critique de la raison pure

jusqu’ici adoptée. Mais cette déduction de notre pouvoir de connaître a priori conduit, dans la première partie de la Métaphysique, à un résultat étrange et qui, en apparence, est très préjudiciable au but qu’elle poursuit dans sa seconde partie : c’est qu’avec ce pouvoir nous ne pouvons pas dépasser les limites de l’expérience possible, ce qui pourtant est l’affaire la plus essentielle de cette science. Mais la vérité du résultat auquel nous arrivons dans cette première application de notre connaissance rationnelle a priori nous est fournie par la contre-épreuve de l’expérimentation, en cela même que cette faculté n’atteint que des phénomènes et non les choses en soi qui, bien que réelles par elles-mêmes, restent inconnues de nous. Car ce qui nous porte à sortir nécessairement des limites de l’expérience et de tous les phénomènes, c’est l’Inconditionné que la raison exige dans les choses en soi, nécessairement et à bon droit, pour tout ce qui est conditionné, afin d’achever ainsi la série des conditions. Or, en admettant que notre connaissance expérimentale se règle sur les objets en tant que choses en soi, on trouve que l’Inconditionné ne peut pas être pensé sans contradiction ; au contraire, si l’on admet que notre représentation des choses telles qu’elles nous sont données ne se règle pas sur les choses mêmes considérées comme choses en soi, mais que c’est plutôt ces objets, comme phénomènes qui se règlent sur notre mode de représentation, la contradiction disparaît, et si, par conséquent, l’Inconditionné ne doit passe trouver dans les choses en tant que nous les connaissons (qu’elles nous sont données), mais bien dans les choses en tant que nous ne les connaissons pas, en tant que choses en soi, c’est une preuve que ce que nous avons admis tout d’abord à titre d’essai est fondé[lower-greek 1]. Or, il nous reste encore à chercher, après avoir refusé à la raison spéculative tout progrès dans le champ du supra-sensible, s’il ne se trouve pas, dans le domaine de sa connaissance pratique, des données qui lui

  1. Cette expérimentation de la raison pure a beaucoup d’analogie avec celle que les chimistes appellent souvent essai de réduction, mais généralement procédé synthétique. L’analyse du métaphysicien sépare la connaissance a priori en deux éléments très différents, à savoir : celui des choses comme phénomènes et celui des choses en soi. La dialectique les réunit de nouveau pour faire l’accord avec l’idée rationnelle nécessaire de l’inconditionné et elle trouve que cet accord n’est jamais réduit que par cette distinction, laquelle est par conséquent vraie.