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On peut juger, par le court aperçu que nous venons de donner du contenu de la Critique, de l’étroit enchaînement des parties d’une doctrine qui ouvre les perspectives les plus variées et les plus riches sur les problèmes essentiels de la connaissance, de la pratique, et de la croyance humaines, et qui en même temps est peut-être l’exemple le plus remarquable d’un système construit avec la plus rigoureuse unité et la plus ferme cohésion, comme un organisme, dit volontiers Kant, « où tout est organe, où tout existe pour chaque membre et chaque membre pour tous les autres[1] ». Rien n’est saisissant, par exemple, comme cette conception d’une raison pure, qui permet de porter sur la métaphysique le jugement le plus sévère, mais le plus éclairé et le plus juste qu’on ait jamais, après comme avant Kant, prononcé sur elle, et qui, du même mouvement de pensée, produit la théorie de la science et de l’expérience restée la plus vivante et, quoi qu’on en ait dit, la plus contemporaine de toutes ses concurrentes. L’école empirio-criticiste allemande, si forte par certains côtés et si intéressante, celle des Avenarius, des Stallo, des Mach et des Ostwald, en a si parfaitement conscience qu’elle prétend fonder un criticisme de l’expérience, rendant ainsi hommage à ce qu’il y a de définitif dans la philosophie de Kant, au moment même où elle décide de s’en séparer. Nous voudrions qu’en France, la méfiance si commune des savants à l’égard de toute philosophie, à l’égard même de toute critique sérieuse de la connaissance et de toute théorie de la science, méfiance mise à la mode par un positivisme sans critique, fît place enfin à une vue plus juste et en tout cas plus tolérante sur les rapports inévitables des sciences et de la philosophie, et sur l’étroite solidarité qui lie leurs destinées. Entre tous les services que la

  1. Préf. de la 2e édition, page 33.