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perd son bonheur sous une certaine législation actuellement existante ,` qu’a·t-il à faire? Ne doit-il pas résister? La réponse ne peut étre autre que celle-ci : il n’a autre chose à faire qu’à obéir. En effet, il ne s’agit pas ici du bonheur que les sujets peuvent attendre de l'établissement ou du gouvemement d’un Etat , mais d’abord simplement du droit qu’il `doit garantir à chacun; c’est la le principe suprême d’oi1 doivent découler toutes les maximes qui concernent un État, et ce principe n’est limité par aucun autre. Quant au bonheur, nul principe universellement valable ne peut être ici donné pour loi. En effet, les opinions très-contraires et en méme temps toujours variables que les hommes se font de leur bonheur, que chacun place où il l’entend (où il doit le placer, c’est ce que l’on ne peut prescrire à personne), ainsi que les circonstances au milieu desquelles ils se trouvent, rendent impossible ici tout principe fixe et ne permettent pas de faire du bonheur tout seul un principe de législation. La proposition : Salus publica suprcma civitatùs lex est, conserve intacte sa valeur et son autorité; mais le salut public, qu’il faut prendre d’abord en considération, est justement cette constitution légale qui assure à chacun sa liberté au moyen des lois, et qui lui permet de chercher son bonheur par tous les moyens qui lui semblent bons, pourvu qu’il ne porte pas atteinte a la liberté légitime de tous les autres citoyens, et par conséquent à leur droit.

Lorsque le pouvoir suprême donne des lois qui ont directement pour but le bonheur (le bien-être des citoyens, la population, etc.), il ne les donne pas comme le but de l’établissement d’une constitution civile, mais simplement comme le moyen d’assurer l’état juridique , surtout contre les ennemis extérieurs du peuple. Le chef de l’État doit avoir le droit de juger lui-même et seul si la prospérité de la république exige qu’il prenne des mesures de ce genre, pour en assurer les forces et la vigueur aussi bien à l’intérieur que contre les ennemis exterieurs; il ne s’agit pas de rendre en quelque sorte le peuple heureux contre sa volonté, mais seulement de faire qu’il existe comme État (1). Dans cette sorte de jugements sur ce qu’il est

(1) Tel est le but de certaines défenses relatives à l’importation : on veut par là que les moyens d’industrie soient le plus favorables possibles aux sujets et ne tournent pas a l’avantage des étrangers, ou n’excitent