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tout à fait absurde d’exiger que l’on corrige tout de suite et violemment cette imperfection ; mais ce que l’on peut exiger des gouvernants, c’est qu’ils aient toujours devant les yeux la nécessité d’opérer des réformes de ce genre, afin de se rapprocher continuellement du but (de la meilleure constitution d’après les lois du droit). Un État peut même se gouverner républicainement, quoique, d’après la constitution existante, il soit encore sous l’empire du pouvoir despotique d’un maître[ndt 1], jusqu’à ce que le peuple soit insensiblement devenu capable de recevoir l’influence de la seule idée de l’autorité de la loi, et de concourir lui-même à sa propre législation (ce qui originairement est fondé sur le droit). Mais, quand même une révolution, produite par une mauvaise constitution, aurait arraché par des moyens violents et illégaux une constitution meilleure, il ne serait plus permis de ramener le peuple à l’ancienne, quoique l’on eût le droit de punir la rébellion de tous ceux qui auraient participé à cette révolution par violence ou par ruse. Quant aux relations extérieures des États, on ne saurait exiger d’un État qu’il renonce à sa constitution, fût-elle d’ailleurs despotique (s’il la regarde comme la meilleure relativement aux ennemis du dehors), aussi longtemps qu’il court le risque d’être absorbé par les autres ; et par conséquent il doit lui être permis d’ajourner l’exécution de sa réforme jusqu’à une époque plus favorable[1].

Que les moralistes despotiques (se trompant dans la pratique) pèchent tant qu’on voudra contre la politique en prenant ou en conseillant certaines mesures avec trop de précipitation, l’expé-

  1. Despotische Herrschermacht.


  1. C’est une conséquence des lois permissives de la raison, que l’on peut laisser subsister un droit public, entaché d’injustice, jusqu’à ce que tout se soit préparé de soi-même à une régénération complète, ou que la maturité soit amenée par des moyens pacifiques. C’est qu’une constitution juridique quelconque, quoiqu’elle ne soit que médiocrement conforme au droit, vaut encore mieux que l’absence de toute constitution, ou l’état d’anarchie qu’une réforme précipitée ne manquerait pas de produire. — La politique se fera donc un devoir de réformer l’état actuel des choses conformément à l’idéal du droit public ; mais elle ne se servira point des révolutions qu’amène la nature des choses, pour s’autoriser à une oppression plus tyrannique encore ; elle en profitera, au contraire, comme d’un avertissement de la nature, pour établir, par de solides réformes, une constitution fondée sur des principes de liberté, la seule qui soit durable.