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« Pliez trop un roseau, il se casse ; qui veut trop ne veut rien. » Bouterwek.

II. L’idée du droit des gens suppose la séparation de plusieurs États voisins et indépendants les uns des autres ; et, quoiqu’une telle situation soit déjà par elle-même un état de guerre (si une union fédérative ne prévient pas les hostilités) elle est cependant préférable, aux yeux de la raison, à la fusion de tous ces États entre les mains d’une puissance qui envahit toutes les autres et se transforme en monarchie universelle. En effet, les lois perdent toujours en vigueur ce que le gouvernement gagne en étendue ; et un despotisme sans âme, après avoir étouffé les germes du bien, finit toujours par conduire à l’anarchie. Cependant il n’y a pas d’État (ou de souverain) qui ne désire s’assurer une paix durable, en dominant le monde entier, s’il était possible. Mais la nature veut d’autres moyens. — Elle en emploie deux, pour empêcher les peuples de se confondre et pour les tenir séparés, la diversité des langues et celle des religions[1]. Cette diversité contient, il est vrai, le germe de haines réciproques et fournit un prétexte à la guerre ; mais, par suite des progrès de la civilisation et à mesure que les hommes se rapprochent davantage dans leurs principes, elle conduit à s’entendre au sein d’une paix, qui n’est pas produite et garantie, comme celle du despotisme dont nous venons de parler (celle-là repose sur le tombeau de la liberté), par l’affaiblissement de toutes les forces, mais au contraire par leur équilibre au milieu de la plus vive opposition.

III. Si la nature sépare sagement les peuples que chaque État voudrait agglomérer, soit par ruse, soit par force, et cela d’après les principes mêmes du droit des gens, en revanche elle se sert de l’intérêt réciproque des différents peu-

  1. Diversité des religions, expression singulière ! C’est comme si l’on parlait de morales diverses. Il peut bien y avoir diverses espèces de foi, non pas au point de vue de la religion, mais relativement à l’histoire des moyens qui ont servi à la propager et qui sont du ressort de l’érudition, et de même différents livres de religion (le Zendavesta, les Védas, le Coran, etc. ) ; mais il n’y a qu’une seule religion vraie pour tous les hommes et dans tous les temps. Ce ne sont donc là que les véhicules de la religion, c’est-à-dire quelque chose de contingent et qui peut être très-différent suivant la différence des temps et des lieux.