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L’idée du droit des gens, entendu dans le sens de droit de guerre, n’offre proprement aucun sens (puisque ce serait le droit de décider ce qui est juste, non pas d’après des lois extérieures ayant une valeur universelle et limitant la liberté de chaque individu, mais d’après des maximes particulières, c’est-à-dire par la force). À moins qu’on ne veuille faire entendre par là que les hommes qui pensent ainsi font bien de se détruire les uns les autres et de chercher la paix éternelle dans le vaste tombeau qui engloutit avec eux toutes les horreurs de la violence. — Il n’y a, aux yeux de la raison, pour les États considérés dans leurs relations réciproques, d’autre moyen de sortir de l’état de guerre où les retient l’absence de toute loi, que de renoncer, comme les individus, à leur liberté sauvage (déréglée), pour se soumettre à la contrainte de lois publiques et former ainsi un État de nations[ndt 1] (civitas gentium), qui croîtrait toujours et embrasserait à la fin tous les peuples de la terre. Mais, comme, d’après l’idée qu’ils se font du droit des gens, ils ne veulent point du tout employer ce moyen et qu’ils rejettent in hypothesi ce qui est vrai in thesi, à défaut de l’idée positive d'une république universelle[ndt 2], il n’y a (si l’on ne veut pas tout perdre), que le supplément négatif d’une alliance permanente et toujours plus étendue qui puisse détourner la guerre et arrêter le torrent de cette passion injuste et inhumaine ; mais on sera toujours condamné à en craindre la rupture (furor impius intus fremit horridus ore cruento VIRGILE.)[1].




  1. Voelkerstaat.
  2. Weltrepublick.


  1. Il ne conviendrait pas mal à un peuple, une fois la guerre terminée et le traité de paix conclu, de s’imposer, à la suite du jour des actions de grâce, un jour de pénitence, pour demander pardon au ciel, au nom de l’État, du crime dont le genre humain continue de se rendre coupable, en refusant de se soumettre à une constitution légale qui règle les rapports des peuples entre eux, et en préférant employer, dans son amour d’une orgueilleuse indépendance, le moyen barbare de la guerre (qui ne décide pas pourtant ce que l’on cherche, savoir le droit de chaque État). Les actions de grâces que l’on rend à Dieu pendant la guerre au sujet d’une victoire remportée, les hymnes qu’on adresse (à la manière des Israélites) au Seigneur des armées, ne contrastent pas moins avec l’idée morale du Père de l’humanité ; car, outre qu’elles attestent une indifférence (assez triste) touchant la façon dont les peuples poursuivent leur droit, elles expriment la joie d’avoir tué bien des hommes et anéanti leur bonheur.