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ciproque ; et, pour garantir sa sûreté, chacun d’eux peut et doit exiger des autres qu’ils entrent avec lui dans une constitution analogue à la constitution civile, où les droits de chacun puissent être assurés. Ce serait là une fédération de peuples[ndt 1], qui ne formeraient pas cependant un seul et même État. Il y aurait en effet contradiction dans cette idée ; car, comme chaque État suppose le rapport d’un supérieur (le législateur) à un inférieur (celui qui obéit, c’est-à-dire le peuple), plusieurs peuples réunis en un État ne formeraient plus qu’un peuple, ce qui est contraire à la supposition (puisque nous avons à considérer ici le droit des peuples entre eux, en tant qu’ils constituent autant d’États différents et ne devant pas se confondre en un seul et même État).

Si l’on ne peut voir sans un profond mépris les sauvages, dans leur amour d’une indépendance sans règle, aimer mieux se battre continuellement que se soumettre à une contrainte légale, constituée par eux-mêmes, et préférer ainsi une folle liberté à une liberté raisonnable, et si l’on regarde cela comme de la barbarie, comme un manque de civilisation, comme une dégradation brutale de l’humanité ; à combien plus forte raison des peuples civilisés (dont chacun forme un État constitué) ne devraient-ils pas se hâter de sortir d’une situation si dégradante ? Loin de là, chaque État fait justement consister sa majesté (car il est absurde de parler de la majesté populaire[ndt 2]) à ne se soumettre à aucune contrainte légale extérieure, et le souverain met sa gloire à pouvoir disposer, sans avoir lui-même aucun péril à courir, de plusieurs milliers d’hommes qui se laissent sacrifier à une cause qui ne les concerne pas[1]. Toute la différence qui existe entre les sauvages de l’Amérique et ceux de l’Europe, c’est que les premiers ont déjà mangé plus d’une horde ennemie, tandis que les seconds savent tirer un meilleur parti des vaincus, et qu’ils préfèrent s’en servir pour augmenter le nombre de leurs sujets, et par conséquent aussi celui des instruments qu’ils destinent à de plus vastes conquêtes.

Quand on songe à la méchanceté de la nature humaine, qui se

  1. Voelkerbund.
  2. Volksmajestaet.


  1. C’est ici qu’est placée, dans la seconde édition du Projet de paix perpétuelle, la note que nous avons déjà donnée plus haut, (p. 292) et qui rappelle la réponse d’un prince bulgare à un empereur grec. J.B.