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DOCTRINE DU DROIT.


sur quelque terre voisine, d’où l’on pourrait être aussi repoussé, et par conséquent un empêchement absolu serait une contradiction. Que s’il s’agit d’une certaine terre (intermédiaire), qu’on voudrait laisser inculte, comme un terrain neutre, servant à séparer deux terres voisines, il n’y a rien là qui ne puisse s’accorder avec le droit d’occupation ; mais alors cette terre est réellement la propriété commune des deux voisins, et, parce que tous deux s’en servent pour se séparer l’un de l’autre, elle n’est pas pour cela sans maître[1] (res nullius). — Autre question encore : Peut-on, sur une terre dont personne n’a le droit de dire sienne aucune partie, avoir quelque chose en propre ? Oui. C’est ainsi que dans le Mogol chacun peut laisser à terre ses bagages, ou revendiquer comme sien le cheval qu’il a laissé échapper, parce que, toute la terre appartenant au peuple, chaque individu peut en faire usage. Mais que quelqu’un puisse avoir comme sienne une chose mobile sur la terre d’un autre, c’est ce qui n’est possible que par le moyen d’un contrat. — On peut aussi demander si deux peuples voisins (ou deux familles voisines) peuvent se refuser à adopter une certaine espèce d’usage de la terre que l’un voudrait imposer à l’autre : par exemple, si un peuple chasseur peut résister dans ce sens à un peuple pasteur, ou à des agriculteurs, ou ceux-ci à des planteurs, etc. Sans doute ; car leur manière de s’établir sur la terre, pourvu qu’ils ne sortent pas des limites de leur territoire, est une chose dont ils sont tout à fait les maîtres (res mercæ facultatis).
xxEnfin on peut encore demander si, lorsque notre propre volonté, je ne dis pas la nature ou le hasard, nous a placés dans le voisinage d’un peuple qui ne nous offre aucune chance de liaison politique, nous n’avons pas le droit, dans la dessein de fonder cette liaison et de faire entrer ces hommes dans l’état civil (par exemple les sauvages de l’Amérique, les Hottentots, les habitants de la Nouvelle-Hollande), d’établir des colonies par la force, ou (ce qui ne vaut guère mieux) au moyen d’un achat fictif, et de nous approprier ainsi leur territoire, grâce à notre supériorité, quoiqu’ils en
  1. Herrenlos.