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pour la première fois Frémine qui, alors, géant blond, récitait déjà Floréal, les Pommiers, une ode à Robert Guiscard, que sais-je encore ! et un jour déambulant avec Frémine dans les allées du Luxembourg nous rencontrons un petit homme sec, nerveux, les yeux d’aiguilles noires sous une épaisse chevelure, l’air frileux, étroitement boutonné, au printemps, dans un pardessus bleu étriqué, pantalon un peu effrangé, souliers de roulier, gibus irréprochable ; je l’avais souvent croisé avec curiosité, devinant que c’était quelqu’un. Frémine nous présente. Cros me dit d’un brusque tutoiement : « Tu es un poète, toi ! » — Vous ne vous trompez pas. « — Tu dois avoir des vers sur toi… » — Pas des vers, des poèmes en prose… seulement… ; — seulement quoi ? — je les fais à ma manière… — Mais lis donc ! J’avais tiré un papier, je commence. « Toute mon âme s’est envolée, elle est allée se poser sur les violettes et les roses que tu as respirées jadis… Cros m’interrompt. « Ça me suffit, tu es poète », et nous causâmes longtemps sous les grands arbres, il fut convenu que le lendemain je lui lirais mes œuvres toutes inédites, ou au moins une anthologie tirée d’icelles. « Mais, me dit Cros, ce sont presque des vers, il faudrait un rien pour en faire des poèmes » ; j’y voyais moi, une différence ; j’ai des vers aussi, lui dis-je, et je lui lus un petit poème, des vers libres, les premiers sans aucun doute et pas les meilleurs. « Alors, me dit Cros, tu veux faire des réformes. Tu as bien tort, comment feras-tu pour faire des vers un drapeau à la main. Et les embêtements ! » Je n’insistai pas. Cros ne connut que peu de mes vers libres (de ce temps-là) et nous passâmes à des projets de collaboration, drames, co-