Page:Kahn - Symbolistes et Décadents, 1902.djvu/191

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
185
portraits

tions du monde. Elle se mire dans les profondeurs sous-marines, son reflet est comme un blanc cierge sortant des silencieux laboratoires où les êtres glissent ou rampent sur des féeries de végétaux pourpres, recouverts de l’onde opaque, près des polypiers, des assises madréporiques de mondes en formation. Elle sait tout, et elle ignore tout, puisque éteinte, puisque déserte, puisque seulement réflecteur. Quelle leçon pour cette Terre, ronde comme un pot-au-feu ! comme il est dit dans le Concile féerique.

Si l’Imitation de Noire-Dame la Lune dépeint le décor de la nuit, et décore les vitraux de la Basilique du Silence, le Concile féerique met en scène ceux qui viennent détruire cette paix des choses par leurs vouloirs et la contorsion de leurs allures en quête de vie et de sensations. La Dame cherche le décor de gala et de fêtes amusantes qu’elle exige autour d’elle, et le ciel absolument nu se pare pour elle de toute son animation intérieure. Le Monsieur n’aperçoit, lui, que le monde monotone, sans spectateur éternel. Que faire en ce monde sans allées réelles, sans imprévu que les frêles embûches de l’illusion ? rien de mieux que de les croire réelles, et tous deux y croient à demi, se comportent comme s’ils y croyaient tout à fait ; c’est le destin des philosophies que d’être oubliées dans la pratique de la vie ; à ce prix, au lieu de la désoler, elles en sont ornements et parures, et les deux protagonistes reconnaissent que la Terre est bonne, en acceptant simplement les multiples conseils du Chœur et de l’Écho. Vivre en toute simplicité et ne plus trop creuser, vivre à la bonne franquette, selon l’illusion de fête générale et épanouie