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symbolistes et décadents

tragique ou, mieux, triste, triste pour le contemplateur ; la nécessité de traduire ces deux nuances exigeait un ton spécial, à créer ; donc, pas ou peu d’élans d’éloquence, des vers très soucieux de l’allure du langage contemporain, des strophes nettes, calquées, non sur la durée rythmique, mais sur la durée de la phrase qui saisit un fait, une sensation ; le livre devait être comme un ensemble de chansons mélancoliques ; pourtant comme Laforgue voulait faire voir, et non chanter, il s’arrêta à ce titre, à cette gamme des Complaintes. Un errant, plus ou moins musicien, raconte aux passants, en langage populaire et poétique, avec des refrains, des faits, et il appuie son dire en exhibant une image populaire. Tel est le personnage principal qui se détaille dans ces Complaintes qui demeureront et comme une date et comme une œuvre.

L’Imitation de Notre-Dame la Lune est une multiforme élégie cosmogonique. C’est l’étude des reflets de la Lune à la Terre dans l’âme d’un songeur. C’est l’étude de sentiments modernes semblables, quoique diminués, à ceux des anciens pour Phœbé ou Tanit. Ce n’est jamais Hécate. Le règne de l’astre nocturne est pacifiant. Le plus révolté de ses sujets, c’est le poète rêvant qui la considère, comme autrefois l’astrologue, mais sans plus y chercher le chiffre de son mystère. Elle est là, — elle est diverse, pourquoi ? et comment le savoir. Elle se mire dans des blancheurs à son image, âme pure ou cœur de romances. Pierrots mélancoliques et malins, sceptiques sauf vis-à-vis la blanche existence dans des carrières de craie, où ils passent le temps à figurer sans parole des représenta-