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Jules Laforgue.

C’était un jeune homme à l’allure calme, adoucie encore par une extrême sobriété de tons dans le vêtement. La figure, soigneusement rasée, s’éclairait de deux yeux gris-bleu très doux, contemplatifs. Nul n’apparut avec un geste moins dominateur et un langage plus uni ; nul ne fut moins comédien, moins personnage littéraire ; ce qui n’empêcha la littérature d’être toute sa vie. La littérature, il la concevait non pas comme une chose par elle-même existante, mais comme un reflet, une traduction d’une philosophie. Non point qu’il eût jamais tenté des poésies didactiques, ou qu’il se fût jamais prêté à plaider une thèse ; il existait, à son sens, il existait dans sa nature d’âme, un art, un besoin de saisir la philosophie comme une chose vitale ; les phénomènes et les idées se simplifiaient en lui. L’idée de l’être ou du devenir se ramenait à des questions personnelles, et les grandes inquiétudes sur la destinée étaient ses problèmes de tous les jours et la matière de ses soliloques. Au début de sa jeunesse, cette tendance lui assura comme un bonheur ; aux dernières années, il en vécut anxieux.