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eu du talent parce que j’ai eu des loisirs… dans des vers : Ah ! Seigneur, donnez-moi la force et le courage de contempler mon corps et mon cœur sans dégoût, dans cette phrase : être un saint et un grand homme pour soi-même.

S’il ne le fut, c’est qu’il ne put l’être et que le malheur des temps l’en empêchait. Ce poète, M. de Bonnières, qui parle d’ailleurs avec toute la sincérité et le respect dus, ne nous paraît pas le voir complètement. Baudelaire, dit-il, n’exprime que des choses rares, et ce rare de la sensation n’est pas suffisamment expliqué par la forme ; il faut, dit M. de Bonnières, du simple en art et de l’ordinaire pour enchâsser le rare ; tant il est vrai que cette esthétique spéciale du poème, du poème concentré en ses parcelles purement poétiques, est difficile à faire admettre ; or, le vers ne peut avoir lieu que pour dire une sensation en sa formule musicale, en sa formule abstraite, dire tout ce qu’un état d’âme contient et qui ne pourrait s’expliquer en prose. La poésie commence aux confins de l’âme humaine ; débarrassée de toute occupation de vie, pour une heure, oisif, l’homme peut un instant se bercer à un souvenir, à un paysage, et non l’analyser et le démontrer, ce qui serait œuvre du roman d’analyse, mais le concentrer, le dépouiller de tout ce qu’il a d’éphémère et de circonstantiel, il peut dans un vers donner l’accord qui existe entre le rythme fondamental de son âme, et les rythmes horaires et essentiels des choses. Le poème c’est la célébration du mystère qui se passe en un soi douloureux, ou un soi attendri, et rien d’autre. Ce qu’il faut de-