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ŒUVRES DE L’EMPEREUR JULIEN.

pas étonnant que les hommes rompus aux luttes judiciaires ou à la poésie entreprennent aisément le récit de tes louanges : l’exercice de l’art oratoire, l’habitude du genre démonstratif, leur donnent une confiance légitime[1]. Mais ceux qui ont négligé cette partie de l’éloquence pour se tourner vers une autre branche d’études, vers des compositions moins goûtées du vulgaire et timides à se produire sur toute espèce de théâtre, ceux-là n’osent aborder le genre démonstratif sans une extrême réserve. Car il est évident que, si les poëtes doivent aux Muses et à l’air d’inspiration poétique répandu sur leurs écrits le privilège illimité de la fiction[2], les rhéteurs jouissent aussi d’une licence propre à leur art : privés du droit de feindre, ils ont jusqu’à un certain point celui de flatter, et ce n’est pas pour l’orateur une honte avouée que de donner de fausses louanges à des gens qui n’en méritent aucune[3]. Quand un poëte a trouvé quelque légende nouvelle, ou qu’il a tissu quelque fiction que n’avaient point imaginée ses devanciers, cette nou-

  1. Voyez sur ces sortes de compositions, que les Grecs nomment έπίδειςις, les observations de Spanheim, et notre thèse latine De ludicris apud veteres laudationibus, passim.
  2. Horace a dit de même :

    .....Pictoribus atque poetis
    Quidlibet audendi semper fuit œqua potestas.
    Art poétique, v. 9.

    — Voyez sur les conditions respectives de la poésie et de l’éloquence, Tacite, Dialog. des orat., du chap. ix au chap. xiii.

  3. Cf., pour cette opinion un peu paradoxale, Buffon, Réponse à M. le chevalier de Chatelux, le jour de sa réception à l’Académie française, le jeudi 27 avril 1775 : “ La louange publique, signe éclatant du mérite, est une monnaie plus précieuse que l’or, mais qui perd son prix, et qui même devient vile lorsqu’on la convertit en effet de commerce : elle subit autant de déchet par le change, que le métal, signe de notre richesse, acquiert de valeur par la circulation….. Comme un bouquet de fleurs amorties, dont chacune brille de ses couleurs et porte son parfum, l’éloge doit présenter les vertus, les talents, les travaux de l’homme célébré. Qu’on passe sous silence les vices, les défauts, les erreurs, c’est retrancher du bouquet les fleurs desséchées, les herbes épineuses et celles dont l’odeur serait désagréable. Dans l’histoire, ce silence mutile la vérité ; il ne l’offense pas dans l’éloge. Mais la vérité ne permet ni les jugements de mauvaise foi, ni les fausses adulations. Elle se révolte contre ces mensonges colorés auxquels on fait porter son masque. Bientôt elle fait justice de toutes ces réputations éphémères, fondées sur le commerce et l’abus de la louange : portant d’une main l’éponge de l’oubli, et de l’autre le burin de la gloire, elle efface sous nos yeux les caractères du prestige, et grave pour la postérité les seuls traits qu’elle doit consacrer… ”