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mais fausse sur celui-là. Ainsi ni Pythagore, ni tout autre philosophe aussi distingué que Pythagore ne parut digne de créance à Diogène : c’est un dieu et non pas un homme qu’il regardait comme inventeur de la philosophie. Mais qu’est-ce que cela, diras-tu, peut avoir de commun avec le mets du polype ? Je vais te l’expliquer.

9. Les uns prétendent que l’homme est carnivore de sa nature, d’autres soutiennent que la chair ne lui convient pas. Aussi a-t-on beaucoup disputé pour et contre ; et, si tu veux te donner la peine d’étudier la question, tu trouveras sur ce sujet des essaims de volumes. Diogène a voulu vérifier le fait par l’expérience. Il s’est dit que si quelqu’un mangeant de la chair sans aucun apprêt, comme le font les animaux dont c’est l’instinct naturel, loin d’en éprouver aucun dommage, y trouvait au contraire un aliment utile à son corps, on devait en conclure que l’homme est essentiellement carnivore ; mais que, s’il en résultait quelque accident, il fallait croire que, sans doute, cette nourriture ne convient pas à l’homme et qu’il doit absolument s’en abstenir. Peut-être trouvera-t-on que cette première raison du fait est un peu forcée : en voici une seconde qui paraîtra plus appropriée au cynisme, quand j’aurai expliqué plus clairement le but de cette secte. Ce but c’est l’apathie[1], état qui semble faire de l’homme un dieu. Or, Diogène, qui se sentait apathique pour tout le reste, ayant observé que sa répugnance et ses nausées provenaient plutôt d’un asservissement aux préjugés qu’à la raison, puisque la viande, fût-elle mille fois cuite, coupée et assaisonnée de mille manières, n’en est pas moins de la viande, résolut de s’affranchir et de se faire complétement indépendant de cette faiblesse. Car c’est une faiblesse, sache-le bien, que ce dégoût. Dis-moi, en effet, pourquoi, préférant la chair cuite aux dons de Cérès, nous ne la servons pas au naturel. Tu n’en saurais donner d’autre raison, sinon que c’est un usage et que nous y sommes accoutumés. Car si les viandes ne sont pas impures avant d’être cuites, elles ne deviennent pas plus pures par la cuisson. Que devait donc faire celui que le dieu lui-même avait établi comme chef pour abolir toute monnaie[2] c’est-à-dire pour ne juger des choses que d’après la raison et la vérité ? Devait-il s’en laisser

  1. L’impassibilité.
  2. Voyez plus haut, p. 164, note 1. Julien joue sur le double sens du mot grec νόμισμα, qui signifie tout ensemble monnaie et usage.