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XLIX
PRÉFACE

reuse. Le prix fut accordé par acclamations, et il comporta la publication de l’œuvre par la maison Hachette.

Madame Rachilde présenta la pièce à Antoine, mais ce n’est qu’en 1911, sur l’instance de Gabriel Trarieux, qu’Antoine en prit connaissance et la fit immédiatement jouer à l’Odéon dont il était alors directeur. Le succès fut très vif. La débutante parvenait, pour son coup d’essai, à faire applaudir, pendant nombre de soirées, une pièce, dite d’idées, parce que, suivant son expression, « elle y avait mis quelque chose ».

Vers cette époque j’ai connu Marie Lenéru. Elle avait une façon bourrue et joyeuse de se lancer dans la conversation, sans préambules, en personne dont les communications n’étaient pas faciles et qui évitait de se dépenser en mots inutiles. Elle déployait sur ses genoux la grande feuille de papier sur laquelle j’écrivais mes répliques. Redoutable épreuve ! Donner la consécration de l’écriture aux lamentables improvisations d’un dialogue mondain. Elle répondait d’une voix sans timbre, parce qu’elle n’entendait pas ce qu’elle disait. Avec cela souriante et gaie, mais je n’ignorais pas que la gaieté la plus franche est loin d’être un signe infaillible de bonheur, de même qu’un charmant visage n’est pas l’indice assuré d’une belle âme.

La guerre fut pour Marie une catastrophe personnelle et le signal d’une transformation totale. Saisie d’une indicible horreur, elle ne songea plus qu’à la manifester