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ANNÉES 1914-1915

elle, que je m’y prépare religieusement, comme à une vocation, car il faut qu’elle agisse, ce n’est pas en artiste que je veux exploiter la catastrophe… Puisque j’ai eu ce crève-cœur de ne pouvoir faire mon métier de femme auprès de vos agonies, je ferai qu’à l’avenir on ne vous massacre plus. « Mon fils et mon soldat ».

À Marie G… — Voyez-vous, Marie, on dirait qu’un froc religieux nous tombe sur les épaules. On sent qu’il faut changer quelque chose à l’existence pour avoir une raison de la conserver quand elle est enlevée à tant d’autres. Jamais, moi si libre, je ne me consolerai de n’avoir pas pu soigner, ou seulement servir et distraire nos blessés. C’est comme d’être tenu à l’écart du lit de mort d’un être très cher. Ils sont tellement admirables qu’on ne sait pas qui nous donne le plus envie de pleurer, de l’admiration ou de l’horreur. Pourtant je n’avais pas songé à leur écrire et à prendre un « filleul ». En voilà un qui me le demande. Évidemment pour s’adresser à moi, c’est un lettré. Mais comme tous nos confrères du front qui écrivent à Barrès, on sent que, pouvant disparaître, ils cherchent un témoin qui sauve quelque chose de leur nom, leur donne une heure de survivance, et enfin, fasse de leur gloire autre chose qu’un solennel oubli, n’est-ce pas déchirant ?

Il y en a que ces événements passionnent, à la fin