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JOURNAL DE MARIE LENÉRU

déjà bien avancée, c’est ce qui rend cette guerre si cruelle…

À M. Billotte. Je n’ose pas dire que c’est si beau d’être tombé aux Éparges. J’avais lu le récit de ce tour de force en rentrant des sanglots d’admiration. J’ai découpé le journal pour avoir toujours ce récit dans les livres que je relis. J’y écrirai le nom de votre fils. La gloire, l’immortalité, c’est le souvenir dans les cœurs qui survivent, c’est l’amour des vivants pour les morts.

Vos fils et leurs pareils auront fait la mort si belle, qu’ils auront appris le remords, la honte de la vie sauve. Ah ! si cela pouvait nous consoler, soyez sûr que voilà des morts qui ne seront pas oubliés. « La voix d’un peuple entier les berce en leurs tombeaux. » Tous les rapports de la vie et de la mort ont changé à présent. Les oubliés, les sacrifiés, ce sont les vivants. Pourrons-nous jamais les aimer comme nous aimons les autres ?

Au fait, c’est dans ce cahier que je garderai les Éparges, et si je copie des lignes de ma correspondance qui n’ont même pas la valeur de notes littéraires, c’est pour ne rien oublier, pas un battement de cœur envers vous, ô morts pour ma patrie, à qui je veux dédier mon plus grand effort, mon plus grand travail, une pièce dont je ne sais rien encore, si ce n’est qu’elle s’appellera « La Paix » et que je vais à