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ANNÉE 1904

ailleurs. Mais ceux-là, dès qu’on y entre, on y respire une atmosphère spéciale. On les prend mollement comme tout livre à commencer et puis l’on se redresse, on se ranime, on se retrouve, comme s’il arrivait quelqu’un, une visite brillante, un jour de pluie. Je crois que c’est le ton, rareté des raretés, et que « le style » le chasse au lieu de le donner. Le ton pour le style est la physionomie pour la beauté, le mouvement des lignes. À force de sacrifier à la phrase et au mot, ceux qui les écrivent oublient leur allure, leur tournure propre. Pour un surcroît médiocre de métaphysique ils perdent l’autorité nerveuse de la phrase. Je ne remarque cette valeur de ton que chez les écrivains qui ont un physique.

Il faut qu’ils aient dans leur chair le maniement du charme pour le retrouver en écriture. Or, le charme, comme la distinction, est un raffinement du tact, et j’ai bien envie de dire que, pour écrire supérieurement, il faut une aristocratie de geste et de peau. Des exemples : observez la nuance de Flaubert aux Goncourt, de Bourget, d’Hervieu à d’Aurevilly, Curel, de Paul Adam à Barrès, de Renan à Nietzsche, de George Sand à Mathilde Serao, de Marcelle Tinayre à la comtesse de Noailles, de Mme H. de Régnier et celle qui doit venir.