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JOURNAL DE MARIE LENÉRU

une fleur, les yeux fermés comme on les baisse, hautains comme dans la veille, sans un fléchissement des traits. Mais le plus souvent ils sont ignobles, c’est une lâcheté, un abandon. Ces êtres-là doivent souffrir avec le visage du mal de mer et l’emporter dans la mort. Grâce à Dieu, ceci est une honte de singes, à la vraie douleur la nature a fait un visage plus digne et plus simple en lui donnant la rigidité.

Quelle étrange épreuve dans le mariage que cette assistance au sommeil, c’est le plus grand abandon, la plus grande possession. J’imagine, à celui qui veille seul, le regard et le qui-vive d’un traître.


Dimanche 22.

Toujours mes yeux et le retour des choses. C’est si nouveau d’absorber, par exemple, plus de soleil ; de marcher à l’air, à la lumière libre, de voir le jour vrai, le jour des autres, sans les infâmes verres bleus qui ont condamné mes yeux de jeune fille.

Retrouverai-je bientôt mon regard d’enfant, ce regard dévorant pour lequel tout le monde m’aimait ? Il y en avait peut-être de plus jolies, mais je me suis sentie, physiquement, la préférée. Ah ! tout ce que j ai perdu ! Je me sens jocrisse devant les morceaux de trop de choses cassées, avec un peu de triomphe