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JOURNAL DE MARIE LENÉRU


13 janvier.

Une pièce est mauvaise, ridicule, mal faite, mais c’est du théâtre ! Votre mais est un sot ! Je n’admets pas cet argument, même pour une féerie. Une pièce est une pièce même à la lecture, et du bon théâtre reste du bon théâtre même quand je le lis, exemple : Bataille de Dames. Mais si je me plains de X… si je ne trouve pas une scène où l’on puisse s’accrocher, si cette poussière inutile de répliques m’éreinte, ne me répondez pas : « C’est un homme de théâtre ».

Pourquoi, en effet ? Un dialogue misérable, je le lis en cinq minutes, il en faut vingt pour en finir à la scène.

L’évidence est que le mauvais à la lecture, devient le détestable au théâtre, par la raison très simple qu’il vaut mieux murmurer une bêtise que la vociférer. Des pièces, qu’on ne peut pas lire, réussissent au théâtre. Mais des romans illisibles réussissent aussi. Pourquoi ne vous écriez-vous pas : C’est mauvais, mais c’est du roman ! Je réclame mon droit de conserver du goût au théâtre. Tant pis pour le public de la scène-feuilleton, de la scène mauvais roman. Tant pis pour ceux qui ne savent pas lire avec leurs oreilles. Thomas Corneille n’était pas plus « homme de théâtre » que Racine, bien que son Timocrate ait été le plus beau succès du siècle.