Page:Journal de Marie Lenéru.djvu/255

Cette page a été validée par deux contributeurs.
191
ANNÉE 1902

mum, mais ne mêlez pas là-dedans la félicité, ne vous imaginez pas traiter la question bonheur ! C’est un sentiment de haute convenance qui me fait accueillir le socialisme, l’abomination de rencontrer un vagabond qui mange un morceau de pain quand on va dîner en ville. C’est absolument navrant, mais cela ne choque pas mon sens moral comme injuste.


Rue Faraday, 9 novembre.

Exprès je ne me lance dans aucun lent travail. J’évite de m’ancrer pour une heure, mais je refais de tout, je sens la vie reprendre autour de moi, c’est un frémissement comme autour d’un bateau qu’on renfloue.

Je suis sérieuse et je m’applique. Je vais les dents, presque les poings serrés. Je ne me fatigue pas, une détente, au contraire, me semblerait morbide. J’ai si monstrueusement à faire ! Je ne cesse de calculer avec la mort.

Je refuse les consolations. Je ne veux rien avoir perdu. C’est-à-dire que la vengeance doit l’emporter disproportionnellement sur le dommage fait. Cela est-il possible ? Peu importe, cela ne sera que dans la mesure tentée.

La qualité de mon attention est médiocre, il y a