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vement, la toilette, le changement, le bruit, il faut aimer tout cela, parce qu’il n’y a pas autre chose. Et c’est le plus beau miracle des hommes, qu’en face du mélodrame de cinquième ordre qu’est leur existence, ils aient pu s’inventer l’étonnante, la nécessaire, la prodigieuse frivolité.

« Gardez, ô hommes vains, les choses vaines ! »

(Imitation).

La musique m’obsède, la musique vivante, énergique, emportée : l’allégro du grand septuor, l’ouverture de Ruy Blas, une valse de Chopin, encore les marches aux Flambeaux… mais que sommes-nous donc à la musique et que nous est-elle ?

Je me rappelle la romance d’Henri VIII avec son adorable accompagnement d’arpèges. Nous revenions, d’une visite faite au loin sur les quais dans une belle très vieille maison, en voiture ouverte et très vite à cause d’un orage qui menaçait, pesait et vibrait sur le vieux Paris, la large Seine tournante et plus loin sur les tricornes du Louvre. Je fredonnais la romance, contente d’être à Paris, excitée par l’orage et sentant aussi, je pense, la beauté des nuages violets sur les pierres violettes.

Il y a douze ans… Si l’on savait comment on est destiné à se souvenir des choses.

Par moments c’est un sursaut, une fin de patience