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[1410.]

11. Dont il advint l’année ensuivant mil iiiic et x, environ la fin d’aoust, que chascun en droit soy admena tant de gens d’armes autour de Paris, que à xx lieues environ estoit tout degasté ; car le duc de Bourgongne et ses frères admenerent leur puissance de devers Flandres et Bourgongne, mais ilz ne prenoient que vivres ceulx au duc de Bourgongne ne à ses aidans, mais trop largement en prenoient. Et les gens de Berry et de ses aidans pilloient, roboient, tuoient en église et dehors église, especialment ceulx au conte d’Armignac et les Bretons[1], dont si grant charté s’ensuivy [de pain][2], que plus d’un moys, le sextier de bonne farine

    un procès plaidé en la Cour des aides le 17 juin 1412, relativement à l’office d’élu d’Avranches. Voici les propos imputés à celui que l’on voulait déposséder de cet office : « Henry de Creux, esleu d’Avranches, contre Guillaume Biote, dit que quant le grant maistre d’ostel fu exécuté et que les nouvelles lui vinrent, il lui en despleust moult et dist publiquement que c’estoit mal fait, et maudist ceulx qui avoient ce fait, disant qu’ilz avoient mieulx gaigné à avoir la teste copée que lui. » (Arch. nat., Zia 5, fol. 304 r°.) Après l’exécution de Jean de Montaigu, ses biens furent confisqués, mais sa veuve et ses enfants ne se trouvèrent pas aussi dénués de ressources que le donne à penser M. Merlet dans sa biographie du grand-maître (Bibl. de l’École des chartes, 3e série, t. III, p. 248), car on voit, peu de temps après (de mars à juillet 1410), Jacqueline de la Grange, sa veuve, plaider contre le duc Louis de Bavière, qui avait été gratifié de la terre de Marcoussis, pour obtenir la jouissance du château de Marcoussis et de mille livres de rente à titre de douaire ; le duc de Bavière se défendit en alléguant qu’au moment de son mariage Jean de Montaigu ne possédait rien à Marcoussis et que, d’ailleurs, Jacqueline était bien pourvue de joyaux, linge, vaisselle et autres biens que la reine lui avait rendus. (Arch. nat., Xia 4788, fol. 447, 627.)

  1. Toutes les chroniques contemporaines, notamment celles de Juvénal des Ursins et de Monstrelet, entrent dans certains détails sur les désordres commis par les gens de guerre autour de Paris ; cependant on nous saura gré de signaler l’exposé impartial de la situation, dû à la plume de Nicolas de Baye : « Armignagues, Bretons, Brebançons, Lorreins et Bourgoignons, conclut le digne greffier du Parlement, ont tout pillé et emmené ce que ont peu emmener et rançonné, en grant deshonneur du roy et du royaume. » (Arch. nat., Xia 4789, fol. 2.)
  2. Les courses des gens de guerre ne furent pas l’unique cause de cette grande cherté ; l’année 1410 fut une année de disette générale, ainsi que semble le témoigner le passage suivant extrait d’une plaidoirie du 23 juillet 1411 : « Combien que l’an passé aient esté longuement (dans le pays de Cotentin) sans manger de pain pour la stérilité. » (Ibid. fol. 163.)