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INTRODUCTION

estoit aussi comme se ce feust une femme d’estrange pais enfermée tout temps en l’ostel de Sainct-Paul… et bien gardoit son lieu comme femme vefve doit faire.

Ce langage n’est pas celui d’un indifférent, c’est le langage que pouvait tenir l’un de ces clercs qui vivaient autour de la reine et qui formaient son conseil ; quel autre pouvait savoir que la veuve de Charles VI était rationnée au point qu’on lui mesurait la quantité de vin nécessaire à la consommation de sa maison ? Ces clercs honorés de la confiance d’Isabeau de Bavière, pendant cette domination anglaise qui pesait si lourdement sur elle, étaient Jean Chuffart, son chancelier, et Anselme Happart, son confesseur. Tous deux sont nommés dans le testament que fit la reine le 2 septembre 1431 et figurent au nombre de ses exécuteurs testamentaires[1]. De ces deux personnages, le premier seul se trouve en harmonie avec les données essentielles de notre Journal, car Anselme Happart, connu comme maître en théologie de l’université de Paris et gouverneur de l’hôpital Saint-Gervais, ne semble pas avoir rempli de fonctions curiales à Paris et surtout ne fit point partie du clergé de Notre-Dame. Reste donc la personne de Jean Chuffart, chancelier et principal conseiller d’Isabeau de Bavière, qu’il convient de soumettre à un examen sérieux.

Le chancelier de la reine Isabeau n’est pas un inconnu ; sa personnalité a déjà été mise en lumière par notre regretté maître, feu Vallet de Viriville, qui, dans une notice servant d’éclaircissement à un mémoire politique intitulé : Advis à la reine Isabelle[2] s’est attaché à démontrer que cet intéressant document ne pouvait être attribué qu’à l’un des deux conseillers désignés plus haut. Le savant historien de Charles VII, basant son appréciation sur divers indices, notamment sur la connaissance familière des coutumes et pratiques de la chancellerie que dénote ce mémoire, n’est pas éloigné de croire que ce « traicté pour le gouvernement de la maison du roy et du royaulme de France » fut rédigé sous les auspices du chancelier d’Isabeau de Bavière. Cette attribution nous semble parfaitement justifiée ; il est en effet naturel de supposer que celui qui vaquait tous les jours aux affaires de la reine et jouissait de toute sa confiance était mieux que

  1. Arch. nat., Mémoriaux de la chambre des comptes, P 2298.
  2. Les renseignements donnés par M. Vallet de Viriville dans sa note-appendice sont généralement exacts. Le savant érudit est cependant tombé dans l’erreur en comptant parmi les dignités obtenues par Jean Chuffart celle d’abbé de Saint-Maur-des-Fossés, au moins pour les années postérieures à 1436 ; c’est à tort qu’il lui applique le passage satirique du Journal parisien concernant l’abbé de Saint-Maur, considéré comme général des aides ; à cette époque (en 1440) l’abbé de Saint-Maur était Jean le Maunier.