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JOURNAL DE MARIE LENÉRU

Ce que je dis ici n’est point de l’orgueil, car si je désire avoir une vie plus importante, ce n’est pas pour qu’on parle de moi, au contraire, mais c’est pour ne pas être « un inutile fardeau pour la terre ».

Mardi 27 septembre.

En ce moment, il tombe une pluie torrentielle, si torrentielle que j’ai été obligée de laisser mes plantes que je soignais, de rentrer mon bégonia et mon pélargonium et de couvrir mes oiseaux. Je dois beaucoup remercier le bon Dieu de cette bonne pluie — (bon, il faut que j’aille chercher des serpillières ; Veau coule à torrents des fenêtres) — car sans elle, je serais restée sur le balcon et je n’aurais pas fait mon journal. Heureusement, ce n’était qu’un grain ; voilà la pluie finie, le nuage parti, le soleil nous inondant de lumière et le ciel d’un indigo admirable. De la fenêtre où j’écris, on ne voit pas un seul nuage. Mon Dieu, comme votre ciel est beau ! Maintenant, je vais découvrir mes oiseaux et sortir mes plantes, car il faut bien que tout le monde profite du beau temps que le bon Dieu nous envoie.

Va, ma pauvre France, Le bon Dieu te punit ! Tu le chasses de partout, de tes villes, de tes campagnes, eh bien ! Lui, vient de faire arriver l’horrible incident de la frontière qui va peut-être nous amener la guerre ; c’est horrible d’y penser. Mon oncle nous a dit hier que dans une partie de chasse qu’avaient fait plusieurs officiers sur la frontière française, il a été tué un piqueur et estropié un officier de dragons par des balles venues de la frontière allemande. L’officier a perdu les deux jambes. Les docteurs qui ont soigné ces pauvres gens ont reconnu que les balles étaient des balles de guerre et on pense qu’elles ont été tirées par des douaniers.

Moi, s’il y a une guerre, mon rôle est tout trouvé ; d’abord, pendant que maman travaillera aux vêtements de soldats ou à autre chose ; je tiendrai la maison, je ferai des bandes et je les roulerai, et je tâcherai d’être capable de faire des vêtements,