Page:Journal (Lenéru, 1945).pdf/378

Cette page n’a pas encore été corrigée

372 JOURNAL DE MARIE LENÉRU

nals, transfigurés dans l’héroïsme et la mort. C’est le seul côté par où l’on puisse presque soutenir la vue de la guerre.

À Marie B… — En fait de politique, il ne suffit pas d’avoir raison, il faut être sûr qu’on vous donnera raison. En se livrant à une démonstration inutile, donc un peu ridicule, les femmes ont nui à leur cause et à celle de la paix.

Je crois avec Wells que c’est par une formidable « campagne d’opinion, menée par tous les moyens dont elle dispose : presse, livre, théâtre », et non par les à-côtés des congrès et des comi- tés, que l’on amènera des résultats. C’est toujours la même loi du succès et la même erreur commise en littérature : Vous vou- lez arriver ? Ne fondez rien à côté, ni petite revue, ni petit théà- tre, emparez-vous de ce qui est, des vraies forteresses de l’opi- nion publique. Il nous faudra plus tard les Charles Humbert de la paix, un seul homme capable de s’imposer dans un quotidien populaire ferait plus que des milliers de congressistes. Les paci- fistes qui ne seront que pacifistes, feront peu de chose, de même les femmes qui ne seront que féministes. Soyez des forces ou captez des forces. Je persiste à croire que, par in- fluence sociale, les femmes peuvent déjà bien plus que par un vote unique qui serait dévolu à chacune. Ce n’est pas son vote personnel qui fait l’autorité politique d’un homme mais, comme dirait Saint-Simon, l’influence de son « intrinsèque ». — Le vote viendra certainement et je ne m’en plaindrai pas, mais ce n’est pas en ressassant leurs revendications que les femmes atteindront le niveau des hommes distingués. Les fai- bles devraient éviter de se spécialiser en leur faiblesse.

Je reçois des journaux et des revues de sourds-muets qui m’impatientent au lieu de m’émouvoir. On dirait qu’ils ne peuvent avoir aucune préoccupation d’homme normal, rien que des préoccupations et des intérêts de sourds-muets. On a grand tort de les hypnotiser ainsi sur leur infirmité. Les jour- naux féministes me rappellent infailliblement ces journaux de sourds-muets. Combien, à l’heure actuelle, une femme ’qui se- rait un économiste distingué, écrivant dans des revues d’éco-