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ANNÉE 1915

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gratuité, laisser les hommes politiques jouer à la raison d’État, et surtout, ah ! surtout à cette première affaire dans le monde, qui nous vaut les massacres d’aujourd’hui et qui s’appelle, ô bourgeoisie métaphysique, « soutenir son rang de grande puis- sance ». Lisez le prince de Bulow, lisez le manifeste autrichien — 30 juillet, je crois — vous n’y trouverez pas autre chose, si ce n’est qu’il faut « soutenir dans le monde son rang de grande puissance » c’est-à-dire obtenir dans les traités de commerce concernant la camelote et l’épicerie « le rôle de la nation la plus favorisée »,

Infatuation de diplomates qui jugent que les succès ou les échecs de leur spécialité sont les affaires d’honneur des peu- ples ! M. de Bulow se plaignant que les Allemands ne s’intéres- sent pas assez à la politique mondiale, c’est-à-dire à sa partie d’échecs, 6 prince des orfèvres !

Époque admirable qu’on peut accepter d’avoir vue à la con- dition qu’elle ne se répète jamais. Qu’elle soit un luxe suprême de notre humanité, mais que pas une âme ne consente à la revoir deux fois ! (à Renée de V…).

À M. de Curel : Voilà Robert d’Humières tombé, avec quelle admiration exclusive nous avions parlé de vous ! — Je pleure les jeunes gens. Quels cœurs nous restera-t-il à faire vibrer, lesquels battront encore pour nous après cette décourageante consommation de la mort ? Et pourtant il faut continuer, demeurer cette petite parcelle de France qu’est notre activité, se donner un prétexte à vivre, une raison de conserver ce qui est enlevé à tant d’autres. I1 y a des moments où j’ai envie d’aller m’enfermer dans une cartoucherie, comme dans un couvent. — 7 juin.

À Jean ?  : Tu es heureux d’être le témoin de cette atroce et magnifique époque. Elle agira sur toi toute ta vie, et te com-

1. Jean Luchaire, neveu « à la mode de Bretagne » de Marie, qui avait alors quatorze ans,

JOURNAL DE MARIE LENÉRU 24