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308 JOURNAL DE MARIE LENERU

tionné pour la paix. Puisque j’ai eu ce crève-cœur de ne pou- voir faire mon métier de femme auprès de vos agonies, je ferai qu’à l’avenir on ne vous massacre plus, « mon fils et mon sol- dat ».

20 rai.

À Marie G… : Voyez-vous, Marie, on dirait qu’un froc reli- gieux vous tombe sur les épaules. On sent qu’il faut changer quelque chose à l’existence pour avoir une raison de la conser- ver quand elle est enlevée à tant d’autres. Jamais, moi si libre, je ne me consolerai de n’avoir pas pu soigner, ou seulement servir et distraire nos blessés, C’est comme d’être tenu à l’écart du lit de mort d’un être très cher. Ils sont si admirables qu’on ne sait pas qui vous donne le plus envie de pleurer, de l’admi- ration ou de l’horreur. Pourtant, je n’avais pas songé à leur écrire et à prendre un « filleul ». En voilà un qui me le demande, Évidemment pour s’adresser à moi, c’est un lettré. Mais comme tous nos confrères du front qui écrivent à Barrès, on sent que, pouvant disparaître, ils cherchent un témoin qui sauve quel- que chose de leur nom, leur donne une heure de survivance, et enfin, fasse de leur gloire autre chose qu’un solennel oubli. n’est-ce pas déchirant ?

Il ne reste plus un Normalien de la promotion de l’année dernière, |

.….Îl y en à que ces événements passionnent, à la fin ils m’ennuieraient, si l’on ne considérait comme un devoir d’être à toute heure avec ceux qui combattent. Des remaniements de : frontière, hélas ! qu’est-ce que cela me fait ? Mais on massacre les nôtres, voilà pour moi tout l’intérêt de la guerre :

Toute la vie politique, qu’elle s’appuie sur la guerre ou non, me paraît aujourd’hui, tellement artificielle, conventionnelle et superstitieuse que c’est comme un décor tombé. Il ne fallait pas sacrifier à ce mythe, « une collectivité », la seule réalité au monde : les individus, et l’on aurait pu, sans en remarquer la