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358 JOURNAL DE MARIE LENÉRU

emphatiques et naïves : ce ne sont pas les vrais troubles humains, il a fallu qu’un protestant du Nord les invente. Il n’y a rien d’aristocratique chez Ibsen, et le fulgurant commentaire que Nietzsche pensait être à ses pièces ne s’adapte pas du tout. Toutes les masses germaniques y ont reconnu leurs aspirations protestantes et réformées. M. de Curel et moi nous sommes bien moins évangéliques, bien plus négateurs, peut-être parce que catholiques, et bien meilleurs dramaturges, parce que latins.

Si loin que je sois de tout et comme à des distances astro- nomiques, approche pourtant… seulement j’arriverai perinde ac cadaver dans ce coma de l’attente que vous avez peut-être connu après trois heures d’attente dans le salon d’un chirur- gien. Et il faudrait longtemps, longtemps, une lente accumu- lation pour m’en faire revenir, des années de traction sur la langue et quelque chose derrière moi, un autre passé qui enve- loppe et qui garde.

Et, pour être tout à fait sincère, il y a pourtant quelque chose d’indomptable, une certitude de tout obtenir de soi, qui est presque déjà le don. Je n’ai jamais douté que je donnerais à la vie le visage que je veux lui voir. Si vous saviez les préci- sions de mon attente et de mes fins. J’irai là, là et là. — Seu- lement cela ne peut pas se dire : « Il y a des desseins que la parole ne saurait exprimer et dont l’exécution seule démontre la possibilité. »

7 décembre.