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nesse est faite de sveltesse, d’une certaine élégance d’évolu- tions, de je ne sais quoi de léger, d’animé, qui ne va pas sans l’intérêt, l’entrain des vies exceptionnelles, Les belles carrières sont nécessaires à ces jeunesses-là, elles sont faites de ce qui les donne : le caractère. J’ai vu des jeunes gens très normaux, rien du vieillard précoce, dire de Barrès : « Je lui envie sa jeu- nesse. » Ils ne l’avaient pas à vingt ans.

A Marie G… : « Ce n’est pas le corps qui fait l’animal en nous, ah ! Dieu non ! c’est l’esprit qui fait la bête », et n’importe quelle svelte imbécile me paraîtra plus à « l’état d’animalité » que vous, chère Marie, si « monstrueuse » que vous vous disiez. »

C’est si vrai. tout l’amour est là-dedans. Tel corps vous dégoûte à cause de l’esprit qui l’anime. Il y a corps et corps, comme il y a âme et âme. L’avachissement, la grimace, le ridicule, tout ce qui inspire le dégoût n’est pas tant dans le corps que dans le moral et le mental. C’est précisément au Dr G. que je disais combien il devait lui être pénible de voir toujours les femmes au moment le plus terrible pour leur séduction, il m’a répondu avec ses mots maladroits et ex- pressifs d’étranger et une expression que je n’oublierai ja- mais : « Il y en a qui restent douces et bien élevées, d’autres ne sont plus qu’une bête. » — Voyez les gens dormir en che- min de fer, quels corps dégoûtants ceux qui n’ont pas subi les ataviques réactions spirituelles. Voyez-les souffrir, même souffrir d’une migraine, la plus jolie femme de chambre est écœurante. En somme on ne peut aimer dans un corps que l’âme qui l’a fait tel, et dans un geste et dans un regard il y a souvent plus de cette mystérieuse puissance qui nous sé- duit, que dans toutes les paroles et les manifestations intel- lectuelles.

Encore Mme de Noailles chez Mme Goyau ; une petite dame gesticulante et pérorante — criarde, me dit-on, mais éloquente — des gestes de pantin saccadés, un peu bêtes et sans chic.