Page:Journal (Lenéru, 1945).pdf/331

Cette page n’a pas encore été corrigée
325
ANNÉE 1907

ANNÉE 1907 325

Villa Saïd, 1x novembre 190%.

Mmes de Noaïlles, de Régnier, Delarue-Mardrus, oui. Voilà des talents et voilà des rivales, Mmes Tynaire et Colette Yver, intelligentes cependant, non. Pourquoi ? Elles ne sont pas des écrivains. Elles ne repensent pas ce qu’elles voient. Ce sont des raconteuses et des parleuses, quand elles écrivent elles ne sont pas occupées à sentir, elles ne créent pas une correspondance nouvelle du style à la vie, elles ne sont pas des sensibilités- forces, nous n’avons rien à hériter d’elles,

Il y a deux littératures : la littérature écrite, sentie, et la littérature parlée, sans aucune décharge nerveuse, Les trois premières lignes d’un livre le classent immédiatement dans l’une ou l’autre, elles édifient sur Ja paresse ou l’attention du procédé.

Un homme qui écrit une phrase-rengaine comme celle-ci : « le violon qui chañte et pleure comme une voix humaine » — je viens de le lire dans Rod — est un homme qui ne se distin- gue pas lui-même, qui ne distingue pas le style des nations de sa propre originalité, Maupassant n’était ni un cerveau, ni même une extraordinaire sensibilité, mais on lui avait enfoncé la méthode dans le crâne, et son travail sort vécu, non pas seulement des milieux qu’il étudie, mais de son être en fonc- tion d’écrivain.

Lalittérature parlée s’écrit vite, mais elle ne donne pas à la pensée le bon entraînement du style, l’heureuse dilatation de l’effort. Elle ne mène pas très loin son homme. Elle lui donne peut-être le pouvoir sur son œuvre, mais non ce travail de soi par soi qui fait de quelques individus qui ont écrit, les meil- leures statues de l’humanité, les êtres les plus travaillés, les plus complets avec les moines et les saints. è

Écrire, non pour parler, ni même pour écrire : pour être, pour devenir de plus en plus dans sa pensée et dans son cœur.