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304 JOURNAL DE MARIE LENÉRU

du charme pour le retrouver en écriture, Or, le Charme, comme la distinction, est un raffinement du tact, et j’ai bien envie de dire que, pour écrire supérieurement, il faut une aristocratie de geste et de peau. Des exemples : observez la nuance de

Curel ; de Paul Adam à Barrès, de Renan à Nietzsche, de George Sand, Mathilde Serao, Marcelle Tinayre à la comtesse de Noailles, Mme H. de Régnier et… celle qui doit venir,

4 nars.

€ Vous vivez toujours dans deux ans. » Quand je cesse mon regard à cent mètres, mon regard de chauffeuse, quand je vois où j’en suis et ce qu’il y à derrière… pour éviter les mouve- ments sismiques, je pense à une &rande-duchesse de Russie qui, elle aussi, dut attendre, attendre impérialement.

« Dix-huit années d’ennui et de solitude lui firent lire bien des livres, »

Que m’importe le soir puisque mon âme est pleine De la vaste rumeur du jour où j’ai vécu ?

Que d’autres en pleurant maudissent la fontaine D’avoir entre leurs doigts écoulé son eau vaine,

Où brille au fond l’argent de quelque anneau perdu.

Le souvenir unit, en ma longue mémoire,

La volupté rieuse au souriant amour.

Et le Passé debout me chante, blanche, ou noire, Sur sa flûte d’ébène ou sa flûte d’ivoire,

Sa tristesse ou sa joie au pas léger ou lourd.

Ce ne sera pas trop du Temps sans jours ni nombre, Ni de tout le silence et de toute la nuit Qui sur l’homme à jamais pèse au sépulcre sombre, Ce ne sera pas trop, vois-tu, de toute l’ombre, Pour lui faire oublier ce qui vécut en lui. (HENRI DE RÉGNIER, Inscriptions lues au soir tombant.)