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292 JOURNAL DE MARIE LENÉRU

À Marie B… Je crois qu’il ne faut pas tant en vouloir à la vie puisque c’est encore d’elle seule que nous empruntons cette idée du bonheur qui nous rend si difficiles. Voilà pour la ques-

tion de droit que je trouve généralement négligée.

Au fond, je suis de ceux qui ne demanderaient Pas à la vie autre chose qu’elle-même. Seulement, il y a la mort. Suis-je plus sincère ou moins élevée que vous, Marie ? la mort est ce ue je reproche le plus à la vie. Si l’on avait le temps d’être patient on pourrait attendre avec toutes les douleurs et tous les ennuis. Ah ! si le temps s’arrêtait dans la souffrance, si l’on n’en vieillissait pas ! Vous sentez bien que tout serait changé, Alors qu’y a-t-il « d’absurde » ? D’être des mortels qui n’aimons pas mourir. C’est la seule « contradition » franchement insup- portable. Donc, ne pas s’en prendre à la vie, quand on n’en veut qu’à la mort. — Vous croyez que je me moque de vous et que j’appelle le loup pour vous consoler de Croquemitaine, mais vous parlez « d’absurdité » et tout me paraît si logique !

Quant au jeu du Courage et de l’énergie, je le trouve un peu funambulesque. Qui donc le Courage at-il rendu plus heureux ? Où cela change-t-il quelque chose dans la réalité des faits et la nécessité des sensations ? C’est élégant comme tous les men- Songes de bienséance, mais ceux qui s’enchantent de leur cou- rage et croient, pour cela, avoir inventé un moyen de se tirer d’affaire me dégoûtent comme le joli cœur qui fume une ciga- rette pendant l’amputation,

De l’énergie ? Si vous entendez par là un accommodement avec ses maux, aidant à les tolérer, je n’en ai pas un atome, car je vous assure que rien, pas même l’habitude, ne m’a facilité les choses.

Tout est horrible et de plus en plus, voilà ! Je n’ai jamais cessé de me le dire et je n’éprouve aucune pudeur à le dire aux autres, c’est-à-dire, à vous.

10 août.

Mne Biacabe, cinquante ans, était exquise sur Ja plage, toute mince dans le grand fauteuil de fer, en poignant les bras