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En latin la férocité est une vertu. A sa racine, la chose et le mot sont admirables, tant il est vrai que les hommes sont

faits pour être mangés. 5 Mars.

Cela m’édifie à la Bibliothèque quand je lève les yeux, assez souvent, car piocher m’est toujours antinaturel, cela m’instruit d’examiner les hommes dans la franchise, dans le cynisme du travail.

Bien qu’ils soient maîtres de leur effort, ils s’embarrassent et se congestionnent. Le travail évidemment les alourdit, c’est une digestion avec les symptômes de l’autre. Est-ce que sont écrites ainsi toutes les choses souveraines ?

Et les hommes du métropolitain à Q heures et à midi, ces messieurs bien habillés, oui, même celui qui m’offre sa place, quelle lächeté en puissance dans ces faces honnêtement dis- tinguées. On prévoit les événements qui chifferaient leurs âmes comme des loques, les mots qui feraient pleurer leur amour-propre.

Que de places à prendre parmi les hommes ! Tous portent au visage, même les insolents, une vulnérabilité de cardiaques, et les fats, en outre, en présentent l’enflure.

On relira indéfiniment dans les romans ces réclamations des jeunes contre la vie, des enfants illégitimes entre autres, quand ils ont envie de se suicider : « qu’ils n’ont pas demandé à naître ». — Si, ils ont demandé à naître, et pas seulement de leurs parents, mais de chaque ancêtre qui, dès les commen- cements du monde, les préparait. Car sans les générations qui devaient venir, sans la « volonté de vivre » de leur race future, aucun n’aurait connu le mal de l’espèce, et personne n’a le droit d’ignorer la plus absolue des solidarités, personne ne peut se séparer pour récriminer et condamner, et tout le monde est coupable ici, jusqu’à la sonnette du président !