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254 JOURNAL DE MARIE LENÉRU

L’Église a trop parlé aux hérétiques. T1 suffit de regarder de près son apologétique pour voir qu’elle ne sait s’adresser qu’à eux. Elle ne comprend dans l’objection, elle ne suppose que l’hérésie, « le point controversé ». Elle dit : Exposez-moi vos doutes, comme si elle était le premier, le seul objet de doute, comme si l’on avait « des doutes » ! Ce pluriel est bien héré- tique, il suppose tant de choses possibles. Des doutes ! Mais “si nous en avions, nous croirions.

Samedi 22.

T1 m’arrive de commencer par n’aimer pas ce que je dois aimer beaucoup, car, avec Schopenhauer, j’en suis là. J’ai la seule vraie indépendance, je choisis mes soumissions. Il est vrai que je ne me soucie guère d’élire une doctrine, mais d’ap- précier un homme. Or, celui-ci est intelligent, il ne cherche pas à firer modestie de sa philosophie. Il sait dire avec beaucoup d’allure, une belle ampleur d’expression : Kant et moi. Ï1 nous importe si peu qu’Arthur Schopenhauer ait eu d’hum- bles sentiments de soi-même, selon l’Imitation ! Il a le bon goût de comprendre que cela est indifférent à la métaphysique. Et à moi elle me plaît cette conscience de soi ajoutée au mérite. C’est étonnant comme j’ai peu besoin de l’humilité d’autrui !

Les avantages inconscients — si vraiment cela existe — m’irritent et me choquent comme des choses mal portées : une opale au cou d’une oie blanche, Le privilège est une chose de fatalité. Mais savoir l’évaluer, en jouir et en jouer, c’est beau- coup plus nôtre.

Schopenhauer est capable d’accuser Aristote et Gœthe de lourdeur et d’incompétence. Quel connaisseur découvrira le fatras et les platitudes qui font le plus abondant de Shakes- peare et de Bossuet par exemple ?  :

1 décembre.

Si averti qu’on soit, au fond l’on proteste. On n’imagine pas l’isolement de l’humanité dans le monde, seule avec les brutes