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206 JOURNAL DE MARIE LENÉRU

vivre seuls comme les étoiles, être comme elles des mondes indépendants, sûrs de leurs orbites, pour posséder l’attraction qui perturbe, entraîne et retient. Mais Tolstoï est le moins intellectuel des romanciers, il n’a pour cerveau qu’une cons- cience. On peut être sûr qu’il n’a aimé qu’à la Posnicheff,

Samedi 31 mars.

L’énervement que j’éprouve, la préoccupation, la tristesse en m’oubliant dans une étude lente — traduction littérale de Nietzsche, Tacite, Shakespeare, annotation de Spencer — tout cela est une preuve qu’il faut secouer le vieux joug. Ma vie de. Bénédictine est finie. Je l’aimais comme chemin, et, si j’avais le but, je l’aimerais comme promenade, mais je n’en veux pas pour orbite !

Je ne veux plus vivre que pour écrire et me réparer. Avoir du talent et lire sur les lèvres. I, si, — no, no.

I auril,

Dieu ! que j’aime le prince de Ligne. C’est de l’Athos et Xvine siècle en plus. C’est même Athos et Bragelonne, ces princes de Ligne, père et fils. Mais avouez-le donc qu’il n’y a que les gens d’esprit qui sachent aimer ! Eux seuls peuvent ressentir tout le charme d’un être, — Voyez ces trois intellec- tuels, la Trinità stessa, disait un cardinal : François Ier, Louise de Savoie, Marguerite d’Angoulême, Nous aurons beau faire les naïfs, on n’aime que l’intelligence et par l’intelligence. Elle est la splendeur morale et physique, car elle n’est pas elle- même si elle ne communique au moins la beauté du mouve—, ment, du regard et de la voix, la beauté éloquente par défini- tion. \

Le socialisme, comme le paradis. Beaucoup plus parfait, mais on régrettera la terre. 4