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Aurai-je la patience de les relire ? Allons donc, jamais ! si l’on ne se demandait en même temps quel effet cela produirait sur d’autres. Je ne ferai rien pour que ceci soit imprimé, mais je veux que ce soit publiable. J’avoue cyniquement que j’ai besoin des autres parce qu’au fond il n’y a qu’eux, et qu’il n’y a qu’une consolation, non pas leur plainte, mais leur amour, leur admiration, leur émotion, leur jalousie, ce qu’on peut leur arracher de plus fort.

« Les hommes qui sont l’unique fin de mes actions et l’objet de toute ma vie, mes plaisirs, mes chagrins, mes passions, mes affaires, tout roule sur eux. Si j’existais seul sur la terre, sa possession entière serait peu pour moi : je n’aurais plus ni soins, ni plaisirs, ni désirs ; la fortune et la gloire ne seraient pour moi que des noms ; car il ne faut pas s’y méprendre, nous ne jouissons que des hommes, le reste n’est rien. » (Vauvenargues. Discours préliminaire à l’étude de l’esprit humain.)

Aimer l’autorité, c’est faire bien de l’honneur à ses surbor- donnés. —

C’est un préjugé de croire qu’on ne peut partager les pré- jugés que par préjugé.

Vendredi 23 mars.

Sapristi ! Lu d’un trait la Sonate à Kreutzer. J’aime mieux les livres immoraux, c’est moins choquant. Quant à la thèse, elle démontre encore une fois qu’en dehors de la valeur intel- lectuelle, il n’y a point de salut. La morale de trappiste de la Sonate est indispensable à ceux qui ne pensent que par leur conscience. Faites-en des intellectuels et les lamentables Pos- nischeff se tirent d’affaire, On ne peut pas ne s’aimer que par amour et l’esprit seul fait qu’on ne s’ennuie jamais ensemble. — Au fond, les médiocres ne doivent même pas s’aimer, ils ne peuvent pas s’embellir l’existence. De quel droit exerceraient- ils une séduction même sur leurs semblables ? — Il faut savoir