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194 JOURNAL DE MARIE LENÉRU

ports avec la gloire. « Nous méprisons beaucoup de choses pour ne pas nous mépriser nous-mêmes, » — « Tous les hommes se jugent dignes des plus grandes places, mais la nature qui ne les en a pas rendus capables, fait aussi qu’ils se tiennent très con- tents dans les dernières, » — « On méprise les grands desseins lorsqu’on ne se sent pas capable des grands succès. » — « Les hommes ont de grandes prétentions et de petits projets. »

Et quel adorable scepticisme : « Les hommes ne se rendent d’ordinaire sur le mérite d’autrui qu’à la dernière extrémité. » — « Nous sommes trop attentifs ou trop occupés de nous- mêmes pour nous approfondir les uns les autres. Quiconque a vu des masques dans un bal danser amicalement ensemble etse tenir par la main sans se connaître, pour se quitter le moment d’après et ne plus se voir ni se regretter, peut se faire une idée du monde. »

O Luc de Clapiers, je vous aime comme si je vous avais perdu.

Mercredi 6 décembre.

Toute une journée au Vizac hier. Depuis midi, dans les feuilles mortes, sous le plus gris des ciels, éclairées seulement par les feuilles mortes.

Dans les petits chemins, le macadam est remplacé par des litières de ces feuilles. Nous avons couru des büûcherons aux coupeurs de genêts, toujours par les grandes avenues où il fait clair maintenant, une clarté à ciel ouvert d’abbaye en ruines.

Jeudi. Sentir qu’on ne peut pas en entier se rendre présent à ce que l’on fait ! Je voudrais travailler avec tout moi-même, être sûre de donner le maximum ; même si c’était médiocre, si cela ne pouvait être qu’un maximum provisoire, je me l’avouerais, je l’avouerais à tout le monde, ce serait un tel résultat de pou-