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186 JOURNAL DE MARIE LENÉRU

frir, jamais souffrir, mais réagir. Or, la réaction n’est pas la patience, encore moins la résignation.

Lundi 11 septembre.

L’autre jour avec M. du B… on parlait de la supériorité de l’amiral Fournier. Celui-là ou un autre, dès qu’on admire, je ressens comme une rage d’émulation, une impatience de n’être rien quand il y a des gens qui sont quelque chose. Ce n’est pas que je m’illusionne sur la valeur que la notoriété représente, mais je ne m’abuse pas davantage sur les « mérites cachés » ; je le regrette pour l’amour-propre et la sécurité des obscurs dont je suis, mais projeter son nom hors de soi est une diffi- culté, donc une excellence,

Ce que c’est que de s’ennuyer, plutôt que de le faire toute ma vie, je serais capable de devenir célèbre !

Je traîne partout un portrait de l’Impératrice d’Autriche. Cette voyageuse et cette solitaire, cette intellectuelle sans le vouloir, prend les proportions d’une patronne.

Dimanche 17 septembre.

Oui, je mets une patience et une ingéniosité chinoises dans l’art d’espérer et je n’ai rien du pessimisme béat qui crache sur les raisins trop verts. Oui, j’aime la vie comme elle est. Que m’importe que les choses soient « vaines » et « passagères » ? Alors, c’est l’éphémère et la vanité qui sont adorables. S5, l’amour est un bonheur. Si, l’inconnu, le mystère et l’habitude et la nouveauté sont des bonheurs. Si, l’esprit, la bonté, le rire, la méchanceté, le mouvement, la toilette, le changement, le bruit, il faut aimer tout cela, parce qu’il n’y a pas autre chose. Et c’est le plus beau miracle des hommes, qu’en face du