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JOURNAL DE MARIE LENÉRU

174 JOURNAL DE MARIE LENÉRU

de passer en toilette devant un ouvrier à l’air sérieux et fati- gué. Que le luxe soit une atmosphère intime et invisible. J’ai lu que, je ne sais où, les maisons des riches étaient extérieure- ment pareilles à celles des pauvres et que, sur leur seuil, on aurait donné l’aumône à leurs propriétaires.

Bien orgueilleuse façon d’être sans vanité !

20 juin.

Je suis si nerveuse, si saturée d’ennui, indifférente à tout. Je lis huit heures par jour et je me sens désœuvrée. Il yades moments où je ne doute de rien. D’autres, par leur vacuité, devraient me faire mourir, comme un trou à l’âme, une chute dans le temps.

Brutul, 23 juin.

A force de liredes « Vie, » des « Journal », une mélancolie vous prend : toujours la fin par la torture, il n’y a qu’elle pour nous chasser de ce monde… |

Quand je dis mélancolie !,

Je ne veux plus d’un travail d’écolière. I1 faut savoir tout ce qu’on veut savoir avant vingt ans. Après, respirer, voir, entendre, et surtout ne rien faire ! Je hais les gens dont on me dit « qu’ils ne perdent pas une minute ». « Il faut toujours qu’elle ait un ouvrage dans les mains. » Ah savoir ne rien faire…

Quand on me voit dans un fauteuil ou immobile en chemin de fer, on s’étonne : tues malade ? Au contrairel c’est parce que ma vitalité pure me suffit que je ne prends pas de remèdes.

Donc, mes livres me lapident et alors, grand Dieu, quoi ?

Il faut que j’aie du talent.

J’ai essayé d’écrire n’importe quoi pour me faire les griffes. Au bout d’une heure et demie, il y avait deux pages de cette écriture, dont une barrée. Je me suis trouvée si sincèrement maladroite que cela m’a jeté un seau d’eau froide. 5