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JOURNAL DE MARIE LENÉRU

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de volonté au travail intense, un talent qui s’empare de mon temps et de mon effort, de mon courage et de mon spleen.

Mais j’aimerai toujours mieux être inimitable par la ma- nière de porter une robe de Chever que par tout le talent et toute la laideur des Eliot et des Staël.

Je veux me mettre des blancheurs d’écume dans l’âme :  ; j’en ai tant regardées aujourd’hui ! Au cimetière de Plougonvelin !, j’ai senti qu’on pouvait mourir ici, mourir vengé et rassasié du spectacle emporté.

Ailleurs, les hommes sont enfouis ; il n’y a que près de la mer qu’on remonte à la surface.

Aujourd’hui, il vente furieusement. En dépit du froid et de la pluie de sable, je suis allée trois fois, et j’irai encore voir les lames, comme à la chapelle en temps de retraite.

8 avril.

La mer hier était défigurée. Elle crachait de l’écume par toute cette énorme mâchoire qui vient mordre dans notre baie. Un cirque de bave ; on aurait dit, sur toutes nos plages, que des lèvres se soulevaient et montraient les dents à l’infini.

J’ai peur de m’encanailler ici. Je surveille jusqu’à ma tour- nure.

CORPS TEST

La vie est à la fois impuissante et indifférente. Ah ! pour- quoi tous les possibles ne nous sont-ils pas donnés ?

« Il remarqua d’abord que la douleur le rendait plus défiant à l’égard de la vie, plus réfractaire à toutes les illusions conso- lantes ou décoratives, dont se contentent volontiers ceux pour qui l’existence est clémente. « Je doute, dit-il, que la souf-

1. Près de Brest.