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nirs que l’autre. Je pense que je m’y réveille enfin, que je vais entendre les bruits si connus de la rue de Siam, le sifflet des canonnières, les salves, la voix de la femme de chambre.

Je n’aime que le soir. La nuit, c’est le passage du présent à l’avenir. Je me lance dans les combinaisons avec rage ; mon imagination m’use toutes les possibilités.

Est-ce la solitude qui m’a développée ainsi ? ou si j’ai tou- jours été ce que je suis comment peut-on m’avoir choisie pour une existence monstrueuse ? Voïlà dix ans que je me nourris de toutes les considérations sur « la douleur ». Pour moi elles n’ont pas résisté à l’expérience.

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C’est l’imagination qui fait les grands interprètes du monde, savants ou poètes. On crée une hypothèse, comme on crée un mythe, une allégorie, une métaphore. :

En lisant Darwin, j’étais frappée de cet état d’avant, de cette vue qui précède. Cette faculté artiste n’a rien d’anti-scienti- fique ; c’est l’intuition ; elle a précédé toutes les découvertes.

Dans aucun ordre de choses, l’imagination n’est méprisable, Les chrétiens lui doivent leurs plus grands saints. Étant une optique, elle est la moitié de la préhension. Et l’on existe dans la mesure où l’on prend.

7 avril,

Étouffement sous tant de lecture accumulée, besoin de ré- pliquer enfin, revanche de personnalité. Nominor quia leo ! et la terreur d’une œuvre insuffisante.

Du reste, ce n’est pas « la gloire » comme Marie Bashkirtseff, qui me perturbe de loin. « La gloire » n’embellit pas la femme, et je ne peux pas la sacrifier.

Je veux un talent qui soit moi, me distingue, me révèle à quelques-uns, aux seuls qui comptent pour moi. Un talent qui me complète, reçoive ma vie intime et l’amplifie, par lequel je puisse dépenser tout ce que j’ai d’ardeur de contemplation,