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ANNÉE 1899

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La vie n’est qu’une suite de contacts. Mais il faut que l’image nous arrive avec force, avec précision, pour nous émouvoir. La perception n’est pas la sensation. On ne regarde pas une étoile qui n’est qu’un vague point jaune. En les re- voyant scintiller l’autre soir, avec violence, comme si elles faisaient des signaux, j’ai senti que la communion se rétablis- sait. Mais je ne vois pas encore la profondeur de l’espace noir qui les entoure.

À Ste Anne, devant le Goulet, j’ai eu du découragement, Ce que je voyais me pénétrait si peu, m’était si lointain, qu’il me fallait presque un effort de mémoire pour l’atteindre et j’ai tourné la tête en pensant : je regarderai plus tard. 5

J’ai 24 ans bientôt et il me faut toujours remettre la vie.

J’ai la grippe aujourd’hui. Quand je croyais, j’aimais tous mes maux secondaires ; j’espérais qu’ils payaient pour les au- tres. Pendant ma longue fièvre typhoïde, j’avais l’ardeur des travailleurs qui font volontairement double journée. Main- tenant, je ne me console pas d’une journée gâtée par la mi- graine,

Samedi.

Trop souffrante pour travailler, je viens perdre mon temps.

On écrit à maman « que votre fille ne se fatigue pas de tant d’études ! » Que veut-on que je fasse de ma santé ? Cela n’est utile qu’aux gens heureux. Je me la garde certainement pour l’avenir, mais je ne vais pas lui sacrifier celui-ci.

Pour être heureux, il faut l’avoir toujours été. Je ne me résigne pas au passé, je n’y veux rien regretter, Je veux en- traîner toutes mes années dans ma gravitation et qu’aucune ne rompe l’harmonie. La vie est trop courte pour qu’on la morcelle, Nous n’avons pas le temps de changer, encore moins de nous repentir. Je n’aime pas ce qui s’acquiert et qu’il faut attendre ; nous n’avons pas le temps d’espérer.