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ANNÉE 1899

ANNÉE 1899 161

Mercredi 22 février.

Je ne suis pas sortie, et j’ai lu toute la matinée et la journée. Comme cela, je laisse tranquillement les heures s’en aller. Elles me donnent tout ce qu’elles peuvent me donner. Je prépare l’avenir et ne me « chaulx » du présent.

La vie est superbe ; il ny a que pour les bourgeois qu’elle ne soit pas exaltante. Quand je me sens portée sur mon travail comme sur une houle en marche et vivante, je suis gaie, je me sens jeune, fraîche, souple comme après une bonne gymnas- tique. Le travail ! étendre son âme et sa vie sur le territoire de l’infini,

Samedi 25.

Je suis contente ! Vais-je donc retrouver la joie ? Ne fouillons pas. Je suis contente au sens latin et provisoirement bien entendu !

Je me lève fiévreusement. Ma toilette, que j’aime pourtant, me martyrise parce qu’elle représente un obstacle d’une heure et demie entre mon travail et moi.

Tout ce que je ne donne pas à mon entraînement mental, le temps que me prennent les autres, la lenteur des mouve- ments, les distances à franchir, tout cela me vole, me pille l’avenir.

Mardi 28.

Je voudrais, je voudrais, je voudrais !.…

Mais voyons plutôt ce que je fais. Mes langues :

Latin. Je relis les lettres de Cicéron. Les grands seigneurs que ces républicains ! On vit à Ronge comme un lord anglais sur ses terres. On envoie ses esclaves en courrier sur mer, en Afrique, en Asie… Et j’avance lentement Tacite en criblant bien chaque phrase et ce qu’elle peut me réserver d’inconnu. J’aime cette belle langue intelligente et maniable, je parle du latin en général.

JOURNAL DE MARIE LENÉRU 11