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JOURNAL DE MARIE LENÉRU

156 JOURNAL DE MARIE LENÉRU

l’habitude de la tristesse, J’ai un besoin physique de joie, d’exubérance, d’être jeune ; cette tristesse invétérée m’as- phyxie. Je suis empoisonnée d’une atmosphère d’hôpital.

Mercredi,

« N’est-ce pas que ce que tu perds c’est moins ce qui a été que ce qui aurait pu être, et que le pire des adieux est de sentir qu’on n’a pas tout dit ? »

J’agrandis mon sacrifice de tout ce qu’il me fallait et que nul ne soupçonne que j’ai perdu.

Brest, 26 juin (sic 1,

Quand on regarde sa vie du point de vue des autres, en l’aveuglant des ambitions qui la rendent tolérable, on tres- saute de son abjection. C’est un déclassement,

Jamais je ne capitulerai. D’autres à ma place se résigne- raient par hébètement, croiraient à l’impossible : ces dix an- nées d’horreur me hantent au contraire, elles m’excitent.

Tant que j’ai compté sur Dieu, j’ai été impassible. J’avais devant moi une carrière toujours ascendante et quant au bonheur, je sais attendre. A présent je n’ai plus que moi et je sens la fièvre me prendre. Je n’étais pas un être de renon- cement : tout au ciel ou tout sur la terre,

Je ne me vois que deux avenirs : une stalle dans le chœur d’une abbaye bénédictine, ou bien un de ces grands talents qui donnent toutes les pairies, — Un pis-aller ceci ! mais il n’est pas aisé de faire volte-face et de trouver l’équivalent de la grande sainteté,

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Cette faculté d’imaginer immédiatement ce qui pourrait, ce qui devrait être à côté de ce qui est, est si anormalement