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JOURNAL DE MARIE LENÉRU

150 JOURNAL DE MARIE LENÉRU

18 avril.

Je suis faite pour l’orgueil de Platon et pas pour celui de Diogène, et cependant, toujours, dans la voie chrétienne, j’ai été retenue par l’intransigeance du tout ou rien. Au début, la supériorité de la Sainte Vierge me désenthousiasmait de la per- fection. Je copiais, pour les avoir sous les yeux, les passages stimulants. « Dieu mène les âmes, avec des grâces différentes, à une égale perfection. » — « S’il se trouvait en ces temps-ci, des âmes qui eussent pour moi plus d’amour que les saints des siècles passés, je leur accorderais des grâces plus grandes. » Pourtant j’étais assez perspicace pour voir que je faisais fausse route.

Mon Dieul vous détesteriez la perfection si elle ne nous occu- pait que de nous-mêmes. Son seul but est de nous faire les mouvements libres pour aller à Vous.

23 avril.

Lu Eugénie de Guérin. Elle doit tout à son développement contemplatif, même, je crois, le grand amour pour Maurice. Mais sa quenouille ! affectation et inutilité ! triste symbole du peu qu’on attend des femmes, Que ne lui a-t-on commandé l’étude au nom de Dieu ? Elle a raison « il y avait quelque chose 1à » et pourtant le Journal coule pauvrement.

Une chose me frappe chez elle, je l’ai rencontrée ailleurs et je ne comprends pas : c’est que rencontrant un bonheur ver- tueux l’on s’y installe, et se fasse une vertu de son bonheur. Je n’aimerais jamais les heureux, fût-ce par vertu. Il faut tou- jours être malheureux jusqu’à un certain point.

Jeudi 5 mai. J’écris dans mes mauvais moments quand, à tout prix, il faut réagir. Alors, pour prendre mon élan, j’ai besoin de le